Traitement homoeopathique des maladies des organes de la respiration (1874)
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PRÉFACE DU DOCTEUR Alexandre Dominique CHARGÉ

 

Cet ouvrage a été fait pour être utile aux malades et aux médecins.

 

Aux malades qui, autrefois, ne recouraient à l'homœopathie qu'en désespoir de cause, mais qui, aujourd’hui, après avoir eu la preuve que leurs espérances de soulagement et de guérison se réalisaient plus souvent par les ressources de notre thérapeutique, désertent tous tes jours, en plus grand nombre, le terrain de la vieille école ; bien aveugle qui ne le voit pas  !

 

Aux médecins qui, sensibles aux regrets de voir « tant d'études, de veilles, de génie, dépensés pour obtenir d'aussi faibles résultats ; tant d'erreurs pour quelques vérités» (Valleix) et qui, d'ailleurs sollicités par le cri de la conscience, témoignent quelques velléités, d'expérimenter par eux-  mêmes, mais qui n'avancent pas, uniquement à cause des difficultés qu'ils rencontrent et qu'ils sanctionnent par leur découragement.

 

Des difficultés à surmonter ne furent jamais une bonne raison pour se détourner d'un but à atteindre, quand le but est honorable et constitue un devoir.

 

Je parle à des hommes de bonne volonté et je n'insiste pas sur la nécessité de persévérants efforts ; ils savent aussi bien que moi que la riche moisson n'appartient qu'au laboureur obstiné et que l'homme de science n'a jamais devant lui que deux voies ouvertes  : ou le mouvement qui est la vie, ou l'immobilité qui est la mort.

 

Médecins, nous ne faisons pas exception à la règle, nous la confirmons ; la loi du travail pèse sur nous comme sur tous les autres, et pour nous y soustraire nous n'avons pas à prétexter des exigences de l'exercice de notre art ; ce n'est qu'une raison de plus pour travailler davantage, car le jour où nous cessons d'ajoutes aux acquisitions des temps passés les découvertes du temps présent, nous déclinons et nous perdons de notre autorité dans la théorie et dans la pratique.

 

Donc la première obligation, si nous voulons nous maintenir à la hauteur de notre mission, est de prendre une résolution ferme, inébranlable et de marcher à travers les difficultés. La persévérance portera bientôt avec soi sa juste récompense.

 

Quand on a franchi le premier pas, les obscurités s'effacent ; chaque jour amène plus de clarté ; le succès apporte des encouragements ; on s'enflamme d'amour pour la vérité ; on se passionne pour la défense de ses intérêts, en raison même de l'opposition aveugle ou malveillante que, l'on rencontre ; le courage et la satisfaction de soi-  même font le reste.

 

C'est l’œuvre du temps.

 

L'essentiel est de dépouiller le vieil homme, de rompre avec ces vieilles habitudes de généralisations toujours vagues et indécises, de satisfactions données à l'amour-  propre par de prétendues explications, dont le moindre inconvénient est de faire perdre un temps précieux.

 

Avant de bâtir, il faut balayer le terrain, c'est une vérité banale connue de chacun ; et par balayer le terrain, en matière scientifique, j'entends que pour caser une idée nouvelle dans sa tête, il faut avant tout lui préparer la place qu'elle doit occuper et lui ouvrir la porte par laquelle elle doit entrer, sauf à la rejeter si, après l'avoir mûrie, on ne la trouve pas digne de rester.

 

L'homœopathie, comme toutes les lois naturelles, est aussi vieille que le monde ; on en retrouve l'essence partout, jusque dans les siècles les plus reculés, c'est une étude que je me plais à faire souvent, et j'y trouve un intérêt toujours croissant ; mais dans la forme qu'elle a revêtue, dans les faits nouveaux qu'elle nous a révélés, dans les découvertes qui se sont opérées pendant le cours de son développement, l’homéopathie n'en est pas moins une nouveauté et, à ce titre déjà, il ne faut pas la considérer à travers le prisme du passé, si on veut la voir telle qu'elle est ; ce prisme est trop empreint de ses vieilles couleurs ; il faut l'envisager à l’œil nu, sans voile, sans déguisement, avec la seule volonté de chercher la vérité et de la prendre où elle est.

 

Avec le renoncement au passé, les ténèbres, qui s'opposaient à l'entrée de la lumière, se dissipent et l'esprit, dégagé de toute servitude, est plus facile à concevoir, plus apte à juger.

 

Telle est la disposition d'esprit à laquelle je convie tous les médecins qui voudront aborder avec fruit l'étude de l’homœopathie.

 

Le triomphe de l'homœopathie, c'est la loi qu'elle apporte à la thérapeutique. « D'une maladie donnée, le remède spécifique est celui dont les symptômes connus ont le plus de ressemblance avec la totalité des symptômes qui caractérisent la maladie. »

 

Similia, similibus curantur (Hahnemann).

 

Enfin, la thérapeutique est constituée comme science, ce qu'elle n'était pas ; elle a son axiome, sa vérité principe, sa loi.

 

Cette loi est-  elle vraie ? L'expérience a-  t-  elle consacré les résultats de son application ?

 

Oui, elle est vraie, universelle comme toutes les lois naturelles, elle compte des succès autant de fois,qu'elle a été appliquée, et je dirai plus, parce que je l'ai vérifié par mes propres recherches, on ne me citera pas un seul fait de guérison par un médicament, sans que l'expérimentation de ce médicament ne confirme son homœopathicité, c'est-  à-  dire la ressemblance de ses effets pathogénétiques avec les symptômes de la maladie dont il a triomphé.

 

Et pourtant la loi homeopathique est généralement méconnue, au point que la plus grande partie des médecins n'en tient aucun compte ;.mais pour atténuer la portée de ce triste l'ait, disons tout de suite qu'il y a entre les médecins qui acceptent la loi homéopathique et ceux qui la dédaignent, cette remarquable différence  : les uns l'ont soumise au creuset de l'expérience et les autres ne lui ont jamais accordé un quart d'heure d'attention.

 

Je ne sache pas qu'il se soit jamais élevé contre la loi homœopathique une seule voix sérieuse et autorisée ; que personne ait écrit contre elle une demi ­page qui affiche seulement la prétention de l'attaquer ; des lazzis ne sont plus de saison, — la lacune est choquante, qu'on se hâte de la combler

 

Si la loi est fausse, qu'on le dise, si elle est vraie, qu'on l'accepte, et le procès scandaleux qui dure depuis trop longtemps entre allopathes et homéopathes, au mépris des intérêts des malades, au détriment de la science et de la dignité des médecins, aura eu son terme. Notre scission provient surtout de la négation ou de l'acceptation de la loi.

 

Je fais des vœux pour que cette ligne de séparation soit enfin écartée pour toujours.

 

Des dissidences subsisteront ; encore entre nous,

 

Tradidit mundum disputationibus eorum.

 

Mais sur le terrain de la pratique, nous finirons plus aisément par nous entendre, et au moins nous nous retrouverons, sans qualification. aucune de celles qu'entretient l'état de lutte, des médecins travaillant à la même cause, animés du même esprit et fortifiés par les mêmes convictions.

 

Vienne ce moment, je l'appelle de tous mes vœux   !

 

La loi homœopathique ne demande pas à être acceptée sur la parole du Maître   ! Elle ne provoque pas un acte de foi ; elle sollicite un examen sérieux, approfondi.

 

C'est un devoir pour chacun de la vérifier expérimentalement et de ne se prononcer que lorsque les faits l'auront suffisamment éclairé ; je demande seulement que l'on expérimente avec soin et que l'on se place dans les conditions que les premiers expérimentateurs ont jugé nécessaires, d'après l'expérience, pour la reproduction des faits.

 

Cette loi peut paraître étrange au premier abord, mais on n'est pas autorisé pour cela à élever contre elle la plus légère prévention. L'étrangeté d'une découverte ne fut jamais un motif légitime d'exclusion, l'histoire, au contraire, pullule de faits qui montrent le danger de repousser une acquisition nouvelle, parce qu'elle paraît étrange au premier abord. La lumière est toujours étrange pour celui qui a vécu longtemps dans les ténèbres.

 

Et si je fais la part des préventions, pour les combattre, je dirai aussi un mot de l'attrait que m'inspire la loi homœopathique.

 

Ce mot sera compris de ceux, surtout, qui s'appliquent à reconnaître partout les bienfaits de la Providence. C'est en donnant aux substances médicamenteuses la puissance de produire chez l'homme bien portant des souffrances analogues aux souffrances de l'homme malade, que Celui qui a créé les remèdes pouvait le plus facilement nous initier à la connaissance de leurs effets curatifs.

 

Des analogues se trouvent toujours, se constatent aisément, tandis que les contraires n'existent même pas, et c'est sur ces vains mots de contraires que reposait la vieille thérapeutique   !

 

Mystère, cette loi  ! Quand les faits nous obligent a courber la tête pour leur rendre témoignage, nous ne reculerons pas devant le mot  : Nous savons trop bien que toute science commence et finit par un mystère.

 

Mystère, la maladie  ! Mystère, le médicament  ! Mystère, le rapport à établir entre les deux pour que la neutralisation de la maladie s'ensuive. Tout cela est vrai, mais que nous importe à nous tous ces mystères, sur lesquels d'ailleurs la science n'a pas dit son dernier mot ; quand nous ne sortons pas de la voie expérimentale, quand les faits répondent à nos espérances, et qu'appelés seulement à guérir, nous guérissons.

 

Nous n'avons pas besoin de combattre plus longtemps l'étonnement des uns et les préventions des autres. Que l'on veuille bien peser ce dernier argument, il est décisif.

 

Le médecin instruit trouvera dans la science qui lui a été enseignée des faits révélateurs, qui, s'il veut bien y réfléchir, lui faciliteront singulièrement son entrée dans notre école. Il n'a qu'à se demander pourquoi Sydenham traitait avec succès, par l'opium, les fièvres avec assoupissement ; pourquoi Rivière, en 1656, guérissait des fièvres ataxiques intermittentes soporeuses en donnant de l'opium dans l'intervalle des accès ; pourquoi le malade de Cayol, à la Charité, plongé depuis trois jours dans l'état comateux le plus profond, privé complétement de la vue, de la parole et de toutes ses facultés intellectuelles, ne se réveillât-  il de cette affreuse léthargie qu'après avoir pris de l'opium . Tout le monde sait combien l'opium porte invinciblement au sommeil.

 

Pourquoi la Sabine, qui est un des médicaments signalés par tous les praticiens comme provoquant, à l'état sain, des hémorrhagies utérines, a-  t-  elle été prescrite avec efficacité, principalement contre des hémorrhagies utérines.

 

Pourquoi la Cantharide, dont l’action énergique sur l'économie vivante se décèle notamment par des ardeurs dans la vessie, urines quelquefois sanguinolentes, priapisme opiniâtre très douloureux (Orfila), s'est-  elle montrée utile dans les maladies inflammatoires de la vessie, caractérisées par la sortie de l'urine avec douleur, ardeur, ténesme vésical, priapisme, etc.  ?

 

Pourquoi les Eaux Bonnes n'apportent-  elles des résultats favorables qu'autant qu'elles produisent des phénomènes inflammatoires semblables en acuité et en force à ceux du début de la maladie (Daralde) ?

 

Pourquoi les eaux de Kissingen guérissent-  elles la diarrhée chronique (M. Marrotte) quand il est constant que l'action capitale de ces eaux se résume en une excitation de sécrétions à la surface de toutes les muqueuses, particulièrement du côté du tube digestif  ?  

 

Pourquoi les eaux de Schinznack, Pfetfers, Loecue, qui développent à la peau une éruption susceptible de revêtir diverses formes, sont-  elles précisément recommandées contre les maladies cutanées ?

 

A toutes ces questions, Hahnemann a répondu

 

« La maladie est guérie au moyen d'un médicament capable de provoquer l'ensemble de symptômes les plus semblables à la totalité des siens. »

 

Pour appliquer avec fruit l'homœopathie aux malades, il faut se pénétrer bien profondément de l'enseignement de notre école ; mais pour accepter la loi homœopathique, il n'est pas même nécessaire d'être avancé dans la voie hahnemannienne, il suffit de prêter l'oreille aux leçons de l'expérience.

 

Il suffit de savoir observer et de se souvenir.

 

Quand on est homœopathe de conviction, si on veut devenir un habile praticien, une première nécessité s'impose, l'étude de la matière médicale pure, ou autrement dit, la connaissance des phénomènes morbides que les médicaments produisent chez l'homme bien portant. Rude nécessité  ! Je dois en convenir.

 

Les pathogénésies des médicaments se dressent devant nous comme un pêle-  mêle de symptômes, mélange confus dans lequel il est bien difficile de se reconnaître, de se retrouver, et leur premier aspect n'a rien de séduisant ; mais quand nous avons commencé nos études anatomiques, les débuts n'avaient rien d'agréable non plus, et ce n'est que lorsque le scalpel nous a eu révélé les admirables dispositions de la partie matérielle de l'homme, que nous avons pris goût à l'étude. Il en est ainsi de la matière médicale ; désagréable, confuse, indigeste au premier abord, nous l'apprécions au fur et à mesure que nous comprenons mieux les trésors qu'elle renferme et le parti qu'on en peut tirer pour la guérison des malades.

 

Si chaos il y a, et je ne dis pas non, prenons en main le flambeau qui guida nos devanciers, et cette première clarté nous sauvera du découragement ; la route, est frayée, nous n'avons qu'à la suivre, les conquêtes du passé nous sont la figure des conquêtes de l'avenir.

 

La sécheresse et l'aridité du catalogue des symptômes ne sont qu'apparentes. Aussitôt que par sa propre expérience on s'est acquis la preuve des services que peut nous rendre la connaissance des phénomènes morbides produits expérimentalement chez l'homme bien portant, on devient avide de pathogénésies, on les recherche avec empressement, tant on est ravi de leur fécondité, et tout autre sentiment disparaît devant l'admiration, le respect et la reconnaissance qu'inspire l'oeuvre colossale de Hahnemann.

 

On ne peut pas exiger qu'un médecin, même éclairé, intelligent et laborieux, s'assimile d'emblée nos pathogénésies si compliquées et encore si obscures qui demandent à être criblées et épurées par le concours de praticiens également habiles et consciencieux ;  mais en attendant ce travail d'élimination, pour rendre plus facile le choix du médicament, nous devons nous appliquer à mettre en relief les caractéristiques des médicaments.

 

Par caractéristique du médicament, il faut entendre le trait saillant, particulier, distinctif, qui constitue son originalité et empêche qu'on ne le confonde avec aucun autre, même de ceux qui le touchent de plus près.

 

On est déjà bien préparé pour la lutte quand on possède bien clairement les caractéristiques des médicaments ; il ne reste plus qu'à trouver le caractéristique de la maladie, ce en quoi le cas actuel diffère de tous les autres qui lui ressemblent le mieux, car l'individualisation du malade est tout aussi nécessaire que l'individualisation du médicament, et c'est de cette double individualisation bien faite, de l'application du caractéristique du médicament au caractéristique de la maladie que dépend tout le succès.

 

Avec Hahnemann et fort de mon expérience personnelle, je fais une guerre à mort à la curé du nom ; au lit du malade nous avons mieux à faire que de discuter sur l'essentialité de la maladie et de lui imposer un nom, de la classer dans les aiguës ou dans les chroniques, etc.

 

Tout ce langage doit nous être connu il faut de toute nécessité que tous les médecins sachent le parler, afin que l'on puisse s'entendre sur le diagnostic anatomique différentiel et sur le pronostic ; mais quand nous arrivons au but final, qui est l'objectif de tous les médecins ; quand nous avons enfin à déterminer le choix du remède sur lequel repose le salut du malade, tout cet échafaudage scientifique s'écroule, et nous nous trouvons tout simplement dans la nécessité, pour guérir, si la chose est possible, de relever tous les symptômes du cas actuel fournis par la maladie et le support de la maladie, c'est-  à-  dire par le malade ; d'individualiser le sujet soumis à notre observation, par tous les moyens possibles, autant que notre faiblesse le permet, et de lui administrer l'individualité médicamenteuse qui guérira à la condition d'embrasser dans sa sphère d'action le malade tout entier.

 

Qui bene distinguit, bene docet. Ce n'est pas assez dire. Celui qui individualise le mieux est celui qui guérit le mieux et le plus souvent.

 

Que les nouveaux venus comme les anciens se pénètrent bien de cette vérité.

 

Après la nécessité absolue, permanente de la double individualisation du malade et du médicament, je ne connais rien de plus essentiel à dire que ce que l'expérience m'a appris des dilutions hahnemanniennes et sur la répétition des doses.

 

Je considère comme un fait expérimental élevé au plus haut degré de certitude que les triturations et dilutions, non pas inventées mais découvertes par Hahnemann, constituent des agents nouveaux sans lesquels la pratique homoeopathique me paraîtrait tout à fait impossible.

 

Vouloir appliquer la loi de similitude et refuser d'admettre les préparations hahnemanniennes me paraissent deux choses inconciliables, et aussi je ne pense pas que l'idée en soit venue à personne ; mais ce qui est malheureusement vrai, c'est que nous, qui avons été élevé dans le saint respect de la plus petite fraction de la goutte, nous avons souvent lieu de nous étonner de prescriptions bien différentes faites par nos honorables confrères.

 

L'avenir éclaircira beaucoup de choses qui sont encore obscures aux uns et aux autres ; mais ce qu'il y a de certain, ce que notre expérience nous oblige à confirmer, c'est que lorsque le médicament est bien choisi, la dose hahnemannienne est toujours suffisante ; que précisément en raison de l'excellence du choix, que l'on doit toujours supposer, si elle n'est pas toujours admissible, on doit se tenir en garde contre une dose trop forte, parce qu'une aggravation déplorable peut s'ensuivre.

 

L'homoeopathicité du médicament avec le malade contient tout le secret de son efficacité ; supprimez le rapport de similitude, le globule ou autrement dit la petite dose n'a plus de raison d'être, mais on n'établit pas de règle pour l'administration de médicaments mal choisis, tandis qu'il y en a une pour les médicaments exactement appropriés ; et cette règle, pour moi, est restée, après quarante ans de pratique, ce que nos maîtres nous ont enseigné, toucher juste et ne pas frapper trop fort ; impressionner le malade suffisamment pour que la réaction salutaire puisse être provoquée ; en un mot, répétons-  nous, la chose en vaut la peine  : choix exact et petites doses constituent la meilleure pratique.

 

Nos maîtres nous disaient  : Quand un médicament est à peu près bien choisi, vous pouvez et vous devez élever la dose, le peu de similitude qui existe assurera encore un peu des bienfaits de la loi.

 

Tandis qu'à petite dose, l’à peu près le rendra insuffisant. Cet enseignement m'a servi dans ce sens que toutes les fois que je donnais un médicament dont l’appropriation ne m'était pas connue comme parfaitement exacte, j'élevais la dose ; mais aussitôt rentré dans la voie des médicaments très exactement connus, je n'ai jamais senti le besoin de dévier de la règle et j'ai souvent, au contraire, trouvé de très grands avantages à rester fidèle à la pratique Hahnemannienne.

 

Certes, dans notre école, où l'individualisation règne en souveraine, je n'ai pas la moindre prétention d'élever en principe que la dose de tous les médicaments devra toujours être la même chez tous les malades ; l'impressionnabilité des malades n'est pas la même, il s'en faut de beaucoup, et tous les médicaments n'ont pas besoin, pour jouir de toute leur efficacité, d'être élevés au même chiffre de dilution.

 

Je n'ai point de parti pris, je n'ai aucune velléité de me passionner pour les hautes, basses ou moyennes dilutions, je me conforme sur tous ces points aux leçons de l'expérience  : dans les maladies aiguës, règle générale, je préfère les dilutions moyennes, et dans les maladies chroniques, j'emploie exclusivement les 30 et 200.

 

Entre deux parenthèses, je dirai que définitivement, pour les maladies aiguës, l'observation me force à faire une exception en faveur de Chamomilla. C'est Cham... 200 que je préfère. Dans tous les cas, chez les très jeunes enfants surtout, son action m'a paru toujours plus prompte sans cesser d'être aussi sûre.

 

La question entre la goutte et le globule me laisse plus indifférent ; comme je donne la goutte en solution dans l'eau et que je me réserve toujours de suspendre la potion quand je le juge convenable, je ne dédaigne pas la goutte, sans lui accorder trop de préférence.

 

Mais ce à quoi je tiens essentiellement, c'est à n'employer que des médicaments dilués ou dynamisés, et pour tous ceux qui, par exemple, ne révèlent aucune propriété dans leur état brut ou dans leur première dilution, comme Calc. c., Lycop., Silicea, etc., le chiffre 30 est toujours exigé. Je ne comprends pas mieux qu'un autre la dynamisation des remèdes, mais devant un fait expérimental, que sert-  il à chercher à comprendre.

 

Tout n'est-  il pas à voir ? Or, je vois, je constate les bons effets des médicaments dynamisés, je vois et je constate l'inertie ou le peu d'activité des mêmes médicaments quand ils n'ont pas subi la préparation voulue pour être dynamisés, mon choix n'est pas douteux. Ce que l'on m'a appris être une vérité s'est confirmé dans ma propre pratique, je ne m'en sépare point.

 

C'est avec des globules du Calcarea c. 30, de Silicea 30, de Phosph. 30 et 200, de Lyc. 30 et 200, que j'ai eu le bonheur de réussir à guérir le Carreau, la Carie des os, la Phthisie pulmonaire, dans un certain nombre de cas ; il ne m'est pas démontré qu'on fasse mieux en faisant autrement et j'atténue le plus possible l'expression de ma pensée afin de ne blesser personne.

 

Il me reste à parler de la répétition des doses. Ici, je ne serai pas moins absolu que dans le maintien des médicaments dilués.

 

Je ne connais rien de plus contraire à la logique, ni rien de plus dangereux pour les malades, que des répétitions trop fréquentes. Le médicament ne porte pas matériellement avec lui la santé, pour la substituer matériellement à la place de la maladie ; le remède ne coule pas à. travers le corps de l'homme comme l'eau coule à travers un conduit pour le nettoyer. Ah   ! s'il en était ainsi, c'est à flots qu'il faudrait le verser.

 

Mais tout autre est l'idée qu'on doit se faire du mode d'action du médicament ; sa vertu est purement dynamique, il imprime à la force vitale une direction nouvelle, il impressionne le système nerveux, il relève la vitalité (j'abandonne l'explication au caprice de chacun), mais le fait est, et je maintiens le fait, en dehors de toute idée préconçue, que la guérison est toujours la conséquence de la réaction provoquée par le médicament, et que si nous troublons cette réaction par une intervention inopportune, notre oeuvre méritera tous les noms, excepté celui d’œuvre salutaire.

 

Je prie le lecteur de remarquer que je m'élève uniquement contre les répétitions trop fréquentes et que je suis loin de prétendre qu'une dose, sauf exception, puisse suffire à relever une constitution ébranlée, ou à guérir une affection chronique, je me tiens avec réserve à l'écart de toute exagération ; je dis seulement, et ici je parle avec une inébranlable fermeté, autorisée, imprimée chez moi par l'expérience, qu'il faut absolument, un médicament étant donné, attendre, s'abstenir de rien administrer pendant un certain temps, soit pour lui permettre d'agir, soit pour ne pas troubler la réaction salutaire qu'il est en train de produire.

 

La durée d'action des médicaments est variable pour chacun d'eux ; la plupart du temps elle est encore un mystère pour nous, et ce qu'en disent nos livres ne mérite pas une confiance absolue, mais ce que je sais très bien, c'est que lorsqu'une première dose a amélioré l'état du malade, si légère que soit cette amélioration, il faut savoir attendre ; des répétitions trop fréquentes du médicament le mieux choisi, et surtout alors, peuvent non seulement détruire les bons effets qui s'étaient produits, mais amener la perte des malades.

 

Je sens le besoin de résumer en peu de mots les pensées dominantes qui ne m'ont jamais quitté pendant toute la rédaction de mon travail

 

1° Le médecin n'est appelé auprès des malades que pour mettre le remède en présence de la maladie, c'est-  à-  dire pour y faire de la thérapeutique ;

 

2° La thérapeutique est donc la partie la plus importante des connaissances médicales ; c'est en elle que se résout toute la médecine comme Science et comme Art ;

 

3° Il n'y a de véritablement efficace que la thérapeutique homœopathique, parce que la loi des semblables qui est une vérité de fait, qui n'est pas susceptible d'être discutée, pas plus que toutes les lois naturelles, mais qui est prouvée tous les jours par l'expérimentation la plus rigoureuse a, seule, le privilège de fixer le rapport constant et nécessaire qui doit exister entre l'agent thérapeutique et l'état morbide. — Rapport de similitude ; ainsi le veut l'expérience ;

 

4° La loi homœopathique, pour être féconde dans ses applications, impose impérieusement au praticien les obligations suivantes  :

 

1° de déterminer avec précision le caractère spécial des maladies et des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent les malades ;

2° de s'appliquer à fixer les propriétés des médicaments et d'en connaître d'une manière certaine la valeur et le cercle de leur application ;

3° de n'avoir jamais pour guide dans l'application des médicaments que la confrontation exacte des symptômes de la maladie avec ceux des effets médicamenteux.

 

Tout médecin bien pénétré de l'efficacité de la loi Homœopathique et qui possède toutes les ressources de la matière médicale de son école, est assez riche pour ne jamais recourir à d'autres procédés que ceux qui ont trouvé dans l'expérimentation pure leur exacte appréciation et leur justification ;

 

5° En thérapeutique homœopathique, les plus petits détails ont de l'importance, parce que la première condition. du succès réside essentiellement dans l'individualisation la plus absolue et dans l'appropriation parfaitement exacte du médicament, à la forme, au siège, aux causes, à la marche, à la durée, à toutes les nuances de la maladie et à l'idiosyncrasie des malades ;

 

6° Force, stature, constitution, âge, idiosyncrasie, habitudes, tout varie dans l'homme ; ce sont ces circonstances individuelles si différentes et si nombreuses qui doivent imprimer au traitement des maladies les modifications les plus importantes ; d'où l'excellence de ce précepte  :

 

Avant tout, par dessus tout, chaque fois et toujours, s'attacher particulièrement aux circonstances caractéristiques, aux symptômes individuels.

 

Telles sont mes convictions bien profondes, bien arrêtées.

 

J'ai dit tout ce que je voulais dire, mais je n'ai rien avancé qui n'ait été d'avance bien pesé, bien réfléchi.

 

Je laisse à d'autres les questions purement doctrinales. Pour moi, il me suffit de ne jamais me séparer de cette pensée que la première loi du médecin est le salut des malades.

 

La vérité peut être méconnue, outragée un certain temps, mais son tour viendra ; j'en appelle au tribunal de la raison et de l'expérience.

 

Mon âge et ma santé m'obligent à un repos relatif, mais dans ma retraite, je fais ma consolation de ces pauvres malades que j'ai tant aimés, et pour vivre dans le souvenir de quelques amis, je consigne par écrit mon expérience de quarante années de pratique médicale homœopathique.

 

J'avais eu l'intention de publier tout à la fois une Thérapeutique complète des maladies aiguës ou chroniques, mais ce cadre si vaste est bien long à remplir, et j'ai encore besoin d'un peu de temps et de patience pour achever mon ouvrage commencé. Je me décide donc à publier séparément le traitement des Maladies des organes de la respiration où je me suis particulièrement appliqué à rendre le traitement plus facilement accessible à tous.

 

J'espère y avoir réussi.

 

Suivant l'accueil qui sera fait à cette première partie de mon travail, je trouverai la force de remplir le reste de ma tâche plus rapidement.

 

Toute ma vie, j'ai ambitionné le titre de médecin utile, ce fut mon premier mot au début de ma carrière, ce sera mon dernier.

 

Tamaris, près la Seyne-  s.-  Mer (Var), janvier 1874.

 

 


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